Le Viêt-nam, dans le cadre de l’Indochine, fut l’objet d’une expérience appuyée de l’impérialisme moderne – et de la colonisation à la française – y compris dans le domaine de la santé. De fait, si la colonie ne devait pas coûter à la métropole, elle devait fournir une main-d’œuvre productive, donc en bonne santé physique et mentale. Les Vietnamiens ne pouvaient pas pour autant revendiquer un « droit à la santé ». Il s’agissait tout au plus d’un devoir moral pour la France de « faire au mieux » de ses capacité dans le domaine. Quelle place pouvait tenir le médicament dans ce contexte, à l’heure de l’avènement de l’industrie pharmaceutique moderne ? L’idée que le Viêt-nam a servi de laboratoire d’expérimentation, à l’abri des regards métropolitains, n’est ni nouvelle ni révolutionnaire ; l’emploi empirique, parfois désastreux, de médicaments pour tenter de soigner certaines maladies tropicales fut aussi une réalité. Il s’agit toutefois davantage dans cet ouvrage de mettre en relief ce que l’on ignore du médicament en contexte de colonisation : le peu d’intérêt que lui portaient les médecins (convaincus que la prévention de masse était plus civilisatrice et somme toute encore très sceptiques face à des produits souvent peu efficaces ou trop toxiques… et onéreux) et, par contraste, l’engouement dont certains remèdes furent l’objet auprès de la population colonisée qui n’hésiterait alors pas à les adapter à ses attentes et à ses désirs. Le médicament colonial, porteur d’une véritable autonomie, aurait ainsi, et contre toute attente, participé à la médicalisation du Viêt-nam et à une réinvention de ses repères en santé.